Le point commun entre la bibliothèque Toussaint, la pyramide du lac de Maine et l’école des arts du cirque ? Leur rénovation obéit aux mêmes principes de sobriété énergétique et d’économie circulaire : approche bioclimatique, tri des déchets et réemploi.
"Nous avons conservé tout ce qui pouvait être conservé", résume un ouvrier sur le chantier de l’école des arts du cirque, à Saint-Barthélemy-d’Anjou.
Le hangar d’un éclatant bleu roi, qui servait peu en l’absence d’isolation, est en voie de réhabilitation. Plutôt que de raser pour mieux reconstruire, la Ville d’Angers, propriétaire du site, a opté pour une rénovation minimaliste, de quoi permettre au bâtiment d’être utilisé toute l’année pour des cours et des spectacles. Les murs en tôle, schiste et parpaing ont été consolidés. Idem pour la charpente en bois renforcée par endroit. La structure restera brute sans enduit, ni peinture. L’édifice est désormais isolé et un système de refroidissement naturel le maintiendra au frais l’été. La rénovation de l’école des arts du cirque répond ainsi à plusieurs principes d’économie circulaire qui constituent la nouvelle manière d’aborder les chantiers de construction ou de réhabilitation menés par les collectivités.
La Ville d’Angers et Angers Loire Métropole se sont ainsi dotées d’un plan Bâtiment économie circulaire (Batec) qui vise à systématiser ces pratiques.
Préférer la réhabilitation à la démolition, limiter la bétonisation de nouveaux mètres carrés relèvent donc du b.a.-ba pour réduire l’empreinte carbone des bâtiments. Et lorsque la construction neuve est inévitable, certaines règles sont à privilégier. Ainsi, l’architecture de la future extension de la bibliothèque Toussaint sera plus compacte pour minimiser la surface des façades et donc les déperditions d’énergie. Elle sera aussi plus facile d’entretien et de maintenance. L’édifice intègre en bonne partie des matériaux biosourcés et géosourcés – planchers mixtes en bois, isolation en laine de bois, murs en schiste – et à forte inertie thermique, soit la capacité des matériaux à emmagasiner la chaleur pour la libérer progressivement.
Ventilation, lumière et chauffage naturels
La bibliothèque Toussaint suit aussi les préceptes de l’approche bioclimatique. L’orientation de l’extension et le placement des fenêtres ont été étudiés pour favoriser ventilation, lumière et chauffage naturels. Le nouvel ensemble bénéficiera de protections solaires (cour végétale, brise-soleil…) contre l’inconfort thermique l’été. Afin de préserver la ressource, l’équipement sera doté d’un système de récupération des eaux pluviales pour le nettoyage, l’arrosage et l’alimentation des blocs sanitaires. Et 500 m2 de panneaux photovoltaïques recouvriront son toit.
Idem à la pyramide du lac de Maine, dont la rénovation en cours est commanditée par Angers Loire Métropole. Elle sera équipée de capteurs solaires mais aussi d’un système de chauffage géothermique qui généreront un gain d’énergie de 55 %, soit 30 MWh/an par rapport à l’existant. Le plan Batec souligne enfin l’importance du tri et du réemploi des matériaux. "On ne remplace plus systématiquement à neuf. Ce qui peut encore servir est réutilisé, relève Pascal Stalin, directeur technique chez Lionel Vié & Associés Architecture, qui participe au chantier de la pyramide. C’est autant un principe écologique, économique que du bon sens."
Quart d’heure déchets, charte de la propreté : le tri s’organise sur les chantiers
Son regard est un radar. Sur un site en travaux, par habitude autant que par conscience professionnelle, Frédéric Sureau ratisse le sol à la recherche de déchets. Il se baisse tour à tour pour ramasser un papier ou un morceau de polystyrène. Son œil rompu à l’exercice remarque une pancarte, mal attachée à la palissade du chantier, prompte à s’envoler. La vigilance est au cœur de sa mission. Frédéric Sureau est coordinateur de déchets dans le cadre de la rénovation en cours de la pyramide du lac de Maine, dont Angers Loire Métropole est le commanditaire. Ce poste, rare dans le secteur du bâtiment, est "presque systématique sur les chantiers des énergies vertes comme la construction de parc éolien ou photovoltaïque", explique le salarié d’Anjou Maine Coordination. "Les 19 entreprises qui se succéderont lors des travaux de la pyramide ont toutes signé une charte 'chantier propre' qu’elles doivent respecter", explique Frédéric Sureau.
Limiter la poussière, la fumée et les nuisances sonores
Dans cette veille constante pour un site propre, tout y passe. "Surveiller que les mégots de cigarette, les papiers de friandise ne sont pas jetés par terre. S’assurer que le tri est respecté et que les bennes sont suffisamment nombreuses. Éviter qu’elles ne débordent sinon leur contenu risque de s’envoler et de finir dans le lac ou dans le parc. Idem pour les déchets légers qui doivent impérativement être déposés dans des conteneurs fermés. Les ouvriers doivent aussi limiter la poussière, la fumée, les nuisances sonores. Tout est mis en œuvre pour que rien ne vienne polluer cet espace protégé", énumère Frédéric Sureau.
Des bennes spécifiques pour les produits chimiques
Le chantier de la pyramide comprendra 11 flux de tri contre sept imposés par la loi : bois, matériel électrique, déchets dangereux, plusieurs sortes de plastiques, fer, béton, plâtre, produits chimiques. "Nous portons une attention particulière aux liquides dangereux pour lesquels les bennes de tri seront équipées de bacs de rétention pour contenir les fuites éventuelles. Des bennes spécifiques seront installées pour les produits chimiques comme les tubes de joint silicone", poursuit le coordinateur de déchet. Frédéric Sureau organise régulièrement un "quart d’heure déchets" à l’attention des ouvriers.
L’occasion de rappeler les consignes aux entreprises. Car une erreur de tri dans une benne risque d’invalider le recyclage de l’ensemble des déchets qu’elle contient.
Du béton bas carbone dans les bâtiments
De plus en plus utilisé sur les chantiers, comme celui des résidences universitaires de Belle-Beille, à Angers, le béton bas carbone répond aux mêmes normes de qualité que le béton classique même si, du fait de sa technologie émergente, il ne peut pas encore être utilisé dans tous les cas de figure. Il est souvent répandu par touches au sein d’un immeuble. Mais le bas carbone reste prisé et intéressant car sa fabrication émet moins de gaz à effet de serre. Comment ? Le clinker, l’un des constituants du ciment, est responsable de la forte empreinte carbone du béton. D’une part, il est chauffé à environ 1 500 °C dans un four, ce qui consomme une énergie considérable. De l’autre, sa cuisson libère du gaz carbonique. Mais, en raison de sa lourde logistique, le béton, avec ou sans clinker, restera toujours plus énergivore que l’utilisation de matériaux géosourcés (pierre sèche, ardoise, briques de terre crue) ou biosourcés (bois, chanvre, paille). En outre, ces ressources renouvelables favorisent la séquestration du carbone qui ne s’échappe donc pas dans l’air.
La fin de l’ère du tout-jetable
Des bancs, des dalles de plafond, des sanitaires ont soigneusement été déposés dans des conteneurs maritimes. Les pavés en granit viennent d’être prélevés sur le parvis. Le réemploi est au cœur de la rénovation de la pyramide du lac de Maine. En tout, plus de 47 tonnes de matériaux seront collectées. Sur ce volume, environ 10 tonnes seront réutilisées pour la réhabilitation du bâtiment. Le reste sera vendu via la plateforme d’Angers Loire Métropole à l’attention des professionnels ou par l’intermédiaire de l’entreprise nationale Cycle Up.
Allonger la durée de vie des bâtiments Une partie figurera aussi au catalogue interne, accessible aux services de la collectivité. Quant aux 24 tonnes d’ardoises prélevées, elles sont en passe d’être réaffectées ailleurs grâce à l’intervention de l’association locale Matière grise, spécialisée dans le réemploi.
Même principe sur le chantier de la bibliothèque Toussaint où ardoises, pavés en pierre naturelle et terre cuite, faux-plafonds, chemins de câbles, sanitaires, radiateurs, seront réutilisés sur site. À l’école Voltaire, récemment rénovée à Angers, l’ancien carrelage a été conservé dans les couloirs et les classes. À l’école des arts du cirque, les sanitaires des anciens vestiaires seront remis en place dans la nouvelle installation. "C’est fini l’ère du tout-jetable", estime Pascal Stalin, directeur technique pour le cabinet d’architecture Lionel Vié & Associés qui prend part au chantier de la pyramide. "Avant, on démolissait. Aujourd’hui, on s’adapte. L’objectif est d’allonger la durée de vie des bâtiments."
En chiffres
En millions de tonnes, le volume de déchets produit par le secteur du bâtiment en France, contre 34 millions de tonnes de déchets ménagers (source Ademe, 2024).
Le nombre de flux de déchets organisés lors de la rénovation de la pyramide du lac de Maine à Angers, alors que la loi n’en impose que 7.
Le nombre de tonnes de matériaux collectées dans le cadre du chantier de la pyramide et réemployées en partie sur site.